Titre: The Drift
Date de sortie: 2006
Type: Album CD
Genre: Ambiant gothique, bruitiste, rock expérimental « mutant », avant-garde
Membres: Scott Walker, Hugh Burns, Ian Thomas, Mark Warman, Philip Sheppard, Alasdair Malloy, John Giblin, Steve Pearce, Peter Walsh, Andrew Cronshaw, James Stevenson, Brian Gascoigne, Thomas Bowes, Vanessa Contenay-Quinones, Beverly Foster, Pete Long, Rohan Onraet, Lucy Painter, Rebecca Painter, Ralph Warman, Derek Watkins
Pistes: 10
Tracklist:
1. Cossacks are (4:32)
2. Clara (12:43)
3. Jesse (6:28)
4. Jolson and Jones (7:45)
5. Cue (10:27)
6. Hand Me Ups (5:49)
7. Buzzers (6:39)
8. Psoriatic (5:51)
9. The Escape (5:18)
10. A Lover Loves (3:11)
Éditeur: 4AD Record Label

Dans la série noire de l’avant-garde, je voudrais The Drift. Scott Walker n’est, effectivement, définitivement plus le crooner que nous connaissions il y a bien longtemps (durant les 70’s). Misogynie? Isolation? Sans doute, car notre bon vieux Noel Scott Engel, connu pour son caractère ombrageux, est sans doute atteint de cyclothymie (Ce qui lui vaut son caractère reclu)…
Enfin! Encore une fois onze années après son dernier opus Tilt, Walker nous sort un album des plus ambigus que personne n’a jamais conceptionné sur notre basse planète; encore pire que ses dernières oeuvres… Justement: dans cet album, il est question de la planète bleue, ou plutôt de ses occupants… The Drift met en scène (disons-le honnêtement…) l’horreur de l’humanité durant le siècle dernier. Au programme, plusieurs menues sonorités mélangées à un thème musical des plus ambigus. Des atmosphères dantesques, et des voix infâmes à faire tourner en bourrique n’importe quel premier venu: un âne-humain, des cris bizarroïdes aigus, et Donald Duck (oui, notre cher canard, qui prend ici des tournures plutôt déplaisantes).
Ce concentré d’angoisse vous fera donc découvrir les traces les plus boueuses du genre humain. L’analyse de cet album semble des plus improbable : la complexité peut en effet rebuter, surtout lors des premières écoutes, l’auditeur. De plus, vos sens sont confondus durant toute la session, ce qui ne facilite pas non plus la tâche. Cependant, les pistes sont très parlantes. Je me souviens avoir fait écouter à une amie, et elle avait directement ressenti le sujet de The Drift (l’humanité en outre). Vous voyez, nul besoin d’images, vidéos (Même si la piste Jesse a son propre clip), tout est dit dans les pistes, et c’est vous qui reconstituez par l’imaginaire.

L’album commence par Cossacks Are. Il est effectivement question des cosaques, bataillons soviets chargés de missions plutôt propices à la mort… L’introduction est plutôt explicite. On a l’impression d’entrer dans une quatrième dimension, celle de l’inconnu, qui nous fait découvrir par des expérimentations les plus abominables (On ne reconnaîtrait plus rien dans cet album, car rien n’est à sa place!) des paysages dépravés. Les dernières traces de vie de notre planète. Puis vous êtes par la suite projetés de piste en piste, ou plutôt de scène en scène, devrais-je dire, pour admirer les scénarios les plus nihilistes que nul n’a jamais créé.
Néenmoins, c’est le reflet de la réalité… Consumérisme, individualisme, pollution, guerres et famine (Comme dans Jesse: « Famine is a tall, tall, tower… Left in the dark night… »), c’est la dérive de l’humanité que nous avons là… Il n’y a donc pas plus vrai. Puis nous avons comme dit plus haut, des atmosphères plus ou moins musicales avec des sons étranges que l’on côtoie, sans trop savoir ce que c’est… Même qu’on s’attend à entendre surgir des sons, alors qu’il n’en est rien… À l’inverse, d’autres sonorités surgissent alors que l’on ne s’y attendait pas. L’effet est renversant.

À noter que si vous décelez des tons parodiques dans The Drift, c’est tout-à-fait plausible. Le degré est porté à son paroxysme dans Clara, une sorte de soupe de mélodies corrompues qui fusent de toute part affichant un désespoir et un néant monstre. C’est une desctruction de ses propres oeuvres qu’il affiche ici, à l’intérieur de cet album. Jesse est quant à lui une sorte de psaume en l’honneur à Jesse Presley, oui! Le frère de Elvis Presley, qui est mort très jeune. La chanson est une parodie d’un tube d’Elvis Presley, qui dégrade le thème musical jusqu’à complète érosion de la musique initiale, pour n’obtenir que deux accords pour l’unique guitare électrique, plus deux pour la basse (le titre vous paraîtra clinquant si vous l’écoutez juste après Jesse). Une sorte de vide énoncé, qui vous fera ensuite découvrir des voix confuses venant d’on ne sait où… À la fin, nous avons même Donald Duck, affiché ici en une créature immonde repoussant les limites de l’infâmie en vous harponnant d’apostrophes incompréhensibles. A Lover Loves est la conclusion de l’album où Walker reprend sa combinaison mitée de crooner. Cet album, d’ailleurs, soit vous l’adorez, soit vous le haïssez jusqu’au plus haut point. Personnellement, je l’adore. Malgré son ton arriviste, il domine largement toutes les expérimentations, et même tous les musiciens actuels.
Dans un interview, j’ai pu déceler que certaines pistes chaotiques comme Cue sont constituées de trois choeurs de musiciens séparés puis assemblés. C’est ceci qui donne cette atmosphère infâme.

Voilà, Scott Walker a fait une pure merveille. Ni trop, ni pas assez. Il a justement dosé sans exagérer, ni lésiner! Ce qui donne un aspect vide mais si riche à l’album, concluant plutôt naïvement (volontairement) sur A Lover Loves, où Scott semble nous sussurrer, à la fin: « Escape! » (« Fuis! »). Nul besoin de reprendre l’album pour un film, car c’est un film à part entière; avec ses tragédies, ses coups de gueule, ses trains à vapeur soporifique et ses coins obscurs avec une fin plutôt défaitiste, mais lucide… Savourez ce festin abondant de sonorités bizarres, certes, mais avec modération, car:

Attention, ne pas écouter cet album trop souvent, il devient rapidement obsédant. De plus, il convient de ne pas l’écouter durant des périodes d’angoisse/dépression.
J’ajouterai qu’après écoute, ne vous étonnez pas que cet album puisse ternir votre journée.

Note personnelle: ★★★★★ (Hors du commun, simplement ahurissant…) [5/5]